Pas pour tout le monde, bien sûr. Pour les départements universitaires, il s’agit (du moins à première vue) d’une manne tombée du ciel: des postes permanents, bien pourvus en fonds de recherche, qui viennent panser quelques-unes des plaies infligées par de longues années d’austérité. Difficile de les blâmer de vouloir en profiter.
Mais pour les chercheurs canadiens en début de carrière — doctorants, post-doctorants, chargés de cours et autres professionnels à statut précaire qui souhaitent accéder à des emplois universitaires stables — c’est une toute autre histoire. L’appel de candidatures pour une chaire en humanités numériques à l’Université du Québec à Trois-Rivièresexplique pourquoi : « Conformément aux règles du Programme des chaires de recherche du Canada 150, l’UQTR n’acceptera que les candidatures de chercheurs qui travaillent et habitent à l’extérieur du Canada […] » Il ne s’agit pas seulement d’un programme de discrimination positive envers un groupe (les chercheurs étrangers et les expatriés) qui n’a jamais subi de discrimination négative, ni même d’une étrange forme d’antipréférence nationale comme on n’en verrait jamais ailleurs. Les étudiants des universités canadiennes et les jeunes chercheurs qui n’ont pas eu la bonne idée de quitter le pays sont exclus d’emblée, totalement et irrévocablement. Peu importe la qualité de leur recherche. Peu importe qu’ils ou elles fassent partie de groupes historiquement sous-représentés dans l’enseignement supérieur. Peu importe que l'expatriation n'ait jamais constitué une option plausible pour bien des chercheurs canadiens, pour des raisons financières, familiales ou même professionnelles -- qui songerait à aller étudier les cultures des Premières nations ou des Inuit en Australie? Pour pousser le raisonnement jusqu’à la limite de l’absurde, si Chad Gaffield, récemment élevé au rang d’officier de l’Ordre du Canada pour sa contribution à l’avancement des humanités numériques, était intéressé par le poste à l’UQTR, il serait disqualifié parce qu’il occupe actuellement un poste de professeur à l’Université d’Ottawa. Trahi par son adresse civique. Je m’en voudrais d’empiler les reproches sur l’UQTR sans mentionner qu’il y a pire. L’Université York, par exemple, propose une chaire Canada 150… en histoire canadienne. Une université canadienne cherche un professeur d’histoire du Canada dans le cadre d’un projet créé pour fêter l’anniversaire du Canada, et les chercheurs canadiens vivant au Canada ne sont pas admissibles au concours. Du pur délire. Du pur délire, accompagné d’un constat : l’existence d’un tel programme signifie que la formation scientifique offerte dans les universités canadiennes n’est même pas valorisée par les institutions canadiennes — et sinon par elles, par qui? Les postes universitaires sont d’une rareté désespérante. La compétition est féroce. C’est une réalité que nous, chercheurs en début de carrière, avons acceptée lorsque nous avons entrepris des études de doctorat. Mais dans le cas présent, il ne s’agit justement plus d’une compétition mais d’une exclusion, dont les conséquences pernicieuses pourraient se faire sentir longtemps. Les postes créés dans le cadre du programme de chaires Canada 150 ne tombent pas du ciel, comme s’il s’agissait de cadeaux de la Fée des Emplois. Ils correspondent aux besoins limités des universités et doivent s’inscrire dans des cadres financiers tout aussi limités. Ce qui signifie que, pour chaque chaire attribuée cette année, un poste n’aura pas à être comblé par un concours normal l’année prochaine, ni dans trois ans, ni probablement dans cinq ans. Les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération achèvent, mais les dommages collatéraux subis par les doctorants et par les chercheurs à statut précaire ne sont pas sur le point de disparaître. |